L’enfer, c’est les autres

Catégorie : Humeurs
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Celles et ceux qui me suivent le savent : je n’exercerai plus mes fonctions d’Assistant d’Education et d’Assistant Pédagogique à la rentrée prochaine. Une décision qui me peine énormément, tant sur le fond que sur la forme; c’est pourquoi j’ai décidé d’en parler ici, afin que mon expérience puisse servir d’une manière ou d’une autre à quelqu’un dans la même situation.

Cela faisait 3 ans que j’avais donc pris goût à ce métier souvent dévalorisé de « pion », de « surveillant », et ce parce qu’une fois immergé, il s’agit de bien plus que cela. Ce qui devait être un métier de transition est réellement devenu une passion au fil des saisons. Psychologue, secrétaire, vigile, infirmier, nombreuses sont les casquettes que l’on endosse et l’idée d’aider des enfants à se développer dans un environnement serein à un âge pivot me plait énormément … enfin, me plaisait.

Le côté multifonction du boulot et surtout le rapport humain que j’ai eu avec les élèves étaient ce qui me plaisait le plus, mais ce sont finalement les rapports humains qui auront eu raison de moi. En plusieurs années d’une équipe quasi similaire, on créé des liens, on sympathise, on rigole, on met en place un tas d’habitudes et de réflexes qui rendent le quotidien agréable. Et pourtant cette année, j’ai eu le droit à un rapide retour à la réalité, comme quoi certains peuvent changer du jour au lendemain d’une part tandis que ceux avec le pouvoir préfèrent la politique de l’autruche.

Tout a donc commencé par une remarque anodine de ma part sur le fait de prendre une (énième) initiative à la place d’un collègue alors qu’il trainait la patte pour effectuer un remplacement. Mais celui-ci a eu une réaction plus que disproportionnée, vexé par mes propos. Devant les termes utilisés à base de « pose tes couilles » ou « viens me voir comme un homme », j’ai décidé de ne pas répondre car j’ai, entre autres, pour doctrine de ne pas répondre à la violence, verbale ou physique. J’ai donc dans un premier temps averti ma supérieure afin de l’informer de la situation, ce qui a mené a … pas grand chose.

Un léger entretien individuel aura eu tellement d’effet qu’il a récidivé les menaces en message privé, auxquelles je n’ai, une nouvelle fois, pas répondu. Et cette situation invraisemblable d’impunité va continuer (pas vis-à-vis de la situation initiale, mais de la réaction qui a suivi) pendant de nombreuses semaines, 4 au total. J’avais toutefois envisagé l’inaction de mes boss et ai décidé de prendre en note toutes les nouvelles paroles et actions que je qualifie de ‘sabotage’ à mon encontre afin d’en réaliser un rapport. Au bout des 4 semaines, une réunion avec N+1 et N+2 a lieu durant laquelle je trouvais pertinent de délivrer mon rapport afin de peut-être faire tomber des œillères face à l’évidence … mais non, toujours pas.

Sauf que là, j’ai commencé à ouvrir ma bouche afin de répondre, me disant que les boss sont désormais au courant et qu’ils ne pourront plus faire l’autruche. Et bien la réaction face à cette tension interne a été une réunion durant laquelle j’ai pointé objectivement les soucis de sabotage et de mauvaise foi de mon collègue, qui a déclaré ne plus vouloir travailler avec moi, qu’il se mettrait en arrêt jusqu’à la fin d’année si il le faut et que les boss pouvaient ne pas l’employer l’année prochaine. Il déclare ne pas vouloir de médiation pour arranger la situation, ce que j’ai toujours accepté. Et la réunion se termine ainsi. Oui oui, alors qu’il reste plusieurs mois de boulot avant les grandes vacances et qu’absolument RIEN n’a été mis en place ou imposé pour résoudre la situation.

Logiquement (ben oui, on ne tape pas sur les doigts alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?), la situation est donc une nouvelle fois montée crescendo et bascule dangereusement vers le harcèlement, si ça n’était pas déjà le cas. Menaces à quelques centimètres du visage, ‘ferme ta gueule’ lancé en présence d’autres personnels, je prends énormément sur moi pour rester fidèle à ma ligne de conduite et ne pas répondre, mais j’interpelle une nouvelle fois mes supérieurs sur ce qu’il se passe actuellement. Tenez-vous bien, on me répond alors « d’apprendre à lâcher prise » pour que ma santé aille mieux et pouvoir avancer.

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A partir de cet instant je sais donc que je suis seul, isolé et que mes supérieurs non seulement n’en ont rien à foutre de la situation mais commencent par sous-entendre que j’en fais trop alors que mon quotidien est devenu un enfer entre isolement, intimidations, mesquineries et sabotage. C’est pourquoi je réalise une inscription au registre de santé et de sécurité au travail (RSST) afin de « taper plus haut » et car je ne vois plus vers qui me tourner. La réaction n’a pas tardé et dès le lendemain N+2 nous convoque afin, je l’espérais, de résoudre la situation en provoquant enfin un dialogue. Et le résultat furent des sous-entendus sur « de nombreuses interprétations » de la situation dans différents rapports (me ciblant donc car j’ai été le seul à en produire) et une discussion toujours au point mort puisque mon collègue refuse toujours de parler (ben oui, quand on est harceleur, qu’il ne nous arrive rien et que la victime commence à se farcir le rôle de coupable, pourquoi changer ?).

Cela a été pour moi le point de non-retour et les dernières semaines ont été aussi pénibles que frustrantes. Car au-delà de tout ce que j’ai pu décrire, c’est le manque de communication interne qui me chagrinait le plus, car il m’empêchait de faire pleinement ce pour quoi j’étais là, ce boulot que j’aime tant. D’autant plus que, roulements de tambours, je me suis fait entendre durant l’entretien de fin d’année que … je ne serai pas renouvelé dans mes fonctions (ce sont des contrats d’1 an renouvelable). Motif ? Après avoir réalisé mes différents rapports, on a craint que je ne réalise d’autres rapports sur d’autres personnes dans l’établissement, que le « lien de confiance était rompu ».

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Voilà donc la conclusion de cette histoire folle. Une sacrée leçon de vie, hein ? Certains diront que j’aurais dû fermer ma gueule dès l’origine, que je n’aurais pas dû faire cette inscription au RSST ou encore que j’aurais pu prendre sur moi et « lâcher prise » … mais non en fait. Je n’ai pas envie de donner raison aux harceleurs, à ceux qui font l’autruche, à ceux qui prônent la violence et/ou la méchanceté et/ou l’inaction. J’entendais presque constamment parler de lutte contre le harcèlement dans l’Education Nationale, de la marche à suivre pour les élèves si la situation se présente. Et je devrais agir autrement ? Donner raison à l’autre camp ? Et bien non, je reste fidèle à mes valeurs et à celles que je défends face aux élèves, face à mon fils, face à quiconque. Alors oui, aujourd’hui ce maintien de cap m’a coûté un boulot que j’aimais, mais je garde ma conscience tranquille.

Et heureusement depuis l’annonce de mon départ, les témoignages d’affection se multiplient et j’essaie de toutes mes forces de ne conserver que cela en tête, comme souvenirs de mon passage, comme preuve que malgré tout ce qui a pu se passer, je faisais correctement mon boulot, que je ne suis pas fou. Alors malgré le véritable crève-cœur que représente le fait de ne plus détecter les problèmes d’un simple regard, de ne plus recueillir les confidences des plus isolés et démunis ou encore de ne plus intervenir en cas d’incident et de traiter le problème de A à Z, j’essaie de me satisfaire de tout le travail déjà accompli.

Merci aux parents d’élèves m’ayant félicité pour tout ce que j’ai fait pour leurs enfants durant ces 3 années, allant de l’accompagnement moral aux heures de tutorat pour soutenir leur travail. Merci à ceux qui m’ayant confié qu’on ne « parlait que de moi à la maison » quand j’ai connu plusieurs enfants d’une même famille. Merci aussi à ceux m’ayant remercié pour mon suivi dans les absences/problèmes de santé/conflits liés à leurs enfants. Merci à ceux m’ayant cuisiné des petits gâteaux durant l’année pour me remercier de différentes choses.

Merci surtout aux élèves pour tous les moments que l’on a pu passer ensemble : dans la cour, à la cantine, en salle d’études, pendant les moments off à la grille. Merci à cette élève qui un jour m’a demandé les larmes aux yeux si « ça me dérangeait qu’elle traine avec moi pendant les récrés parce qu’elle est moche », à ceux qui m’ont confié des choses très personnelles quand je leur demandais ou de leur propre fait; ce sont ce genre de confidence qui ont débouché sur de grandes guérisons et le traitement de problèmes graves, bien souvent mésestimés, au mieux, ignorés au pire.

Merci à tous de m’avoir permis avec le temps de trouver cet équilibre entre proximité et respect permettant la confiance au quotidien, confiance qui devrait être au cœur de ce métier d’Assistant d’Education selon moi afin de comprendre, respecter et protéger les élèves au cours de leur scolarité durant une période extrêmement compliquée à gérer qu’est l’adolescence, d’autant plus avec l’omniprésence des réseaux sociaux. Car beaucoup l’oublie, ou choisissent de l’oublier, mais les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain et aider à leur développement serein permet à terme l’émergence de citoyens équilibrés et éclairés.

Vous l’aurez compris, c’est avec le cœur lourd que je conclue cet article et tourne une page de ma vie avec un sentiment amer. J’aurais aimé qu’elle ne se termine jamais mais la vie est ainsi faite. A 33 ans je prends encore une nouvelle leçon de vie et j’en sortirai plus fort, encore, toujours. J’en retiendrai, entre autres, les joies et les peines, les rires et les larmes ainsi que les centaines de milliers d’euros dépensés pour des bonbons donnés aux élèves. Vous allez me manquer, bande de p’tits cons <3

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2 Commentaires

  • Répondre Sam

    La notification sur le RSST était une bonne chose et normalement c’est à un agent de prévention de régler le problème en cas de recours au registre (pas directement à la direction) Malheureusement, on en trouve pas dans tous les établissements.

    Moi je ne peux que t’encourager à passer les concours 🙂

    23 juillet 2023 at 19 h 28 min
    • Répondre Alexandre

      Merci des encouragements mon Sam ! C’est l’objectif que je me fixe pour revenir plus fort, j’ai pour habitude de ne jamais me laisser abattre <3

      31 juillet 2023 at 0 h 05 min

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